C’est une question qui nous est posés plusieurs fois par semaine depuis que le projet de cette maison écologique autarcique gagne en visibilité. Nous allons essayer d’y répondre succintement, à travers les questions les plus fréquentes autour de ce sujet. Commençons par une définition, puis observons les impacts potentiels d’un tel projet.
C’est quoi l’autarcie ?
Nous construisons une maison autarcique. Cela signifie qu’elle est autonome en eau et en électricité, c’est à dire qu’elle est déconnectée du réseau de distribution d’eau claire et déconnectée du réseau électrique. Comme la maison n’a pas de chauffage, elle est également déconnectée d’un quelconque réseau de gaz, de mazout, ou de chauffage à distance.
Ça implique quoi ?
Concrètement, nous devons vivre avec les ressources que nous pouvons produire. S’il n’y a plus d’eau, il n’y a plus d’eau. S’il n’y a plus d’électricité, il n’y a plus d’électricité. Point. Il faut être conscient des ressources que nous utilisons et ne pas gaspiller, sans se stresser pour autant.
Mais pourquoi vouloir ça ?
Il y a deux ans, nous avons imaginé une maison qui consommerait théoriquement tellement peu d’énergie que —pour le challenge— nous voulions tenter l’autarcie. La contrainte était de ne pas radicalement changer de mode de vie, pour que ce modèle puisse parler à une large part de la population.
Nous savions que ça allait être difficile, mais nous avions plusieurs (bonnes) raisons de le faire. Essayons de mettre des priorités dans les réponses.
L’autarcie comme contrainte d’innovation
Durant la conception de la maison, de manière très fréquente, nous avons entendu : « on peut juste imaginer se raccorder pour [tel cas] et ça simplifierait [tel poste], on pourrait remettre [tel produit] ». Oui… mais non.
L’objectif de ce projet est d’imaginer un modèle différent de maison : plus écologique à la construction, à l’utilisation et à la destruction, et surtout plus économe en ressources. Ça peut sonner prétentieux, mais ça ne l’est pas du tout ! Nous n’avons pas la prétention de révolutionner ce secteur, mais plutôt de témoigner d’une façon d’appréhender les choses différement. Et nous faisons de notre mieux pour essayer. La contrainte de l’autarcie nous oblige à faire de notre mieux. L’autarcie implique zéro compromis.
Pour arriver à concevoir une telle maison écologique autarcique, il faut se retourner le cerveau, oublier nos habitudes, et se forcer à innover. Allier des techniques du passé (aspect low-tech) avec les connaissances avancées d’aujourd’hui.
Il faut constamment trouver des solutions innovantes. Il faut oublier les réflexes d’utiliser tel ou tel produit, sortir des sentiers battus, et chercher les innovations, car il y en a et beaucoup.
L’autarcie comme contrainte d’optimisation et de performance
Aujourd’hui, il y a un gachis énorme des ressources (électricité, eau, gaz etc.) dans le bâtiment. Le fait que la maison soit autarcique impose à chaque intervenant (architectes, ingénieurs, artisans…) d’optimiser chaque élément de son métier, à pousser les performances au maximum, à ruser, à innover. Nous voyons chaque personne comme expert ou experte dans son domaine.
L’autarcie comme contrainte d’innovation, oui, mais pas de gaspillage. Certaines innovations permettent d’atteindre un objectif mais tout en étant gourmande d’une autre ressource. Ou également, certaines innovations sont fortement sujettes à des pannes, souvent difficilement réparables, qui engendrent alors une pollution importante. Par conséquent : l’autarcie doit également être une contrainte d’optimisation et de performance.
Le projet souhaite aussi être écologique. C’est pourquoi chaque solution doit être la plus low-tech possible : peu de pannes, réparable, un fonctionnement ou des matériaux simples… autant que possible. Nous ne rejetons pas la technologie, bien au contraire, certains objectifs ne sont atteignables que grâce à des avancées technologiques importantes. Il faut en profiter au maximum. Mais il est important de réduire l’aspect high-tech « gadget » à son minimum. Penser que la high-tech est une solution à la plupart des problèmes est une fausse croyance. Nous y reviendrons probablement dans un prochain article.
Nous avons reçu des dizaines de refus. Que ce soit de la part des banques, de la part des architectes, des ingénieurs, des artisans… Personne ne voulait se lancer dans un tel projet. D’une part car il y a des risques importants, d’autre part car il faut se mettre dans une position incomfortable. Par exemple, les banques ont refusé soit disant à cause d’une hypothétique difficulté à revendre le bien en cas de problème. Pour les artisans, certains n’ont tout simplement pas voulu faire cet effort d’innovation ou de recherche de performance. Bien entendu, nous acceptons et nous prenons sur nous tous les risques. Néanmoins, ce projet nous met —au départ— dans une position d’échec (car difficile), et l’objectif est de transformer cet échec en succès.
PranaHouse est un bureau d’étude en construction durable qui a relevé ce défi. Un ingénieur thermicien —Roberto Camarasa— et un architecte —Pascal Oulevay— nous ont accompagné, et nous avons tenté de trouver des réponses à chaque problème ensemble. D’autres nous ont rejoint, comme Lecoultre ou Bergmann, respectivement pour les sanitaires-ventilations et la charpente-menuiserie. Ils ont tous le goût du risque !
L’autarcie comme lien entre les métiers
Une maison ne peut pas être autarcique ou passive si chaque poste fonctionne isolé des autres.
Il faut mutualiser les efforts pour améliorer les performances.
Prenons l’eau chaude sanitaire (ECS) comme exemple. Cette ECS est chauffée par électricité, mais aussi grâce à la ventilation double-flux qui comporte une pompe à chaleur (PAC) air-eau. Elle est également chauffée par le poêle à bois (notre bouée de sauvetage), qui permet également de cuisiner et de chauffer la maison. La ventilation double-flux consomme une quantité d’énergie que nous arrivons à réduire grâce à un puit canadien. Nous réduisons les besoins en ECS grâce à une meilleure douche qui consomme moins d’eau, et un récupérateur de calorie sur les eaux usées (voir l’article sur l’autonomie en eau).
Sur ce seul exemple, nous voyons plusieurs domaines qui sont liés : cuisine, sanitaire, ventilation, maçonnerie et thermique du bâtiment.
Cela implique que durant l’élaboration des plans et du fonctionnement de la maison, il faut que tous les intervenants communiquent entre eux, se rencontrent, partagent, échangent. Que tout le monde accepte de dire : « nous ne savons pas, mais nous allons y arriver ». Sur bien des aspects, c’est un projet qui demande pas mal d’humilité. Des erreurs ou des oublis sont commis, et personne ne juge, c’est un projet difficile avec énormément de détails.
Dans notre cas, ce rôle de coordinateur est majoritairement incarné par l’architecte. Nous savons qu’il ne compte pas ces heures car il croit au projet. Nous avons aussi une part active dans les réunions et le suivi de chantier, c’est une véritable collaboration. Mais heureusement, cet effort ne devra pas être aussi important pour chaque projet qui va suivre, car les réflexions, la recherche de produits, la recherche d’artisans etc. sont déjà effectuées.
Quels sont les impacts possibles de ce projet ?
Nous entendons alors : « C’est super votre projet, mais moi, je ne veux pas avoir une maison autarcique ! ». Bonne nouvelle, ça n’est pas nécessaire. D’après les retours que nous avons des intervenants sur le projet, il est clair que :
Les techniques utilisées dans cette maison seront réappliquées sur d’autres bâtiments.
Victoire ! C’est exactement ce que nous recherchons. Une fois qu’un modèle performant a été défini, il est facile de le réappliquer ou de l’adapter sur d’autres projets !
Pour être honnête, l’autarcie devient un véritable casse-tête en décembre et janvier : au plus fort de l’hiver, avec des températures basses, de la neige, et très peu d’ensoleillement. Tout le monde n’a pas besoin d’angoisser à l’approche de l’hiver. C’est une belle période qui a son charme.
Mais laissons-nous rêver un instant, et imaginons des maisons aussi optimisées qu’une maison autarcique…
Exemple du chauffage
Partons du postulat que les maisons ne sont pas autarciques mais optimisent autant les ressources (les énergies comme l’électricité, l’eau etc.) que dans une maison autarcique, à la différence qu’elles ne doivent pas autant en auto-produire. Bonne nouvelle, supprimer le chauffage a été l’aspect le plus facile de ce projet et ne concerne en rien l’autarcie : nous ne produisons aucune énergie pour nous chauffer. La maison est chauffée passivement grâce au soleil, à la serre intégrée, et l’isolation est optimisée grâce à la paille et le bois (des matériaux qui, nous le rappelons, sont écologiques, voir notre article sur la construction en paille).
Supprimer le chauffage a donc été l’aspect le plus facile de ce projet. N’aimeriez-vous pas vivre dans une maison sans chauffage, c’est à dire sans dépendance à l’électricité, au gaz, ou au mazout pour vous chauffer ? Un petit peu de contexte pour comprendre l’importance de l’isolation et du chauffage dans les bâtiments. Nous allons donner quelques chiffres concernant la Suisse (les résultats doivent être similaires d’une façon ou d’une autre pour la France, l’Italie, l’Allemagne etc.) et le chauffage dans les bâtiments à usage d’habitation, soit les ménages.
Types de chauffage. 89.2% des ménages utilisent un chauffage central, 4.2% un chauffage à distance, et le reste correspond à un « autre système de chauffage » ou aucun (source). Cela signifie que 9 ménages sur 10 utilisent un système de chauffage propre, un appareil qui a été produit, transporté, installé, raccordé, et qui devra être changé (recyclé ?) un jour. Avec 3.7 millions de ménages privés en Suisse (source complémentaire), cela représente 1.5 millions de chauffages. Continuons avec la liste des agents énergétiques pour le chauffage (top 5 par ordre décroissant, source) :
- le mazout à 39.4% (±0.7%) ;
- le gaz à 20.7% (±0.6%) ;
- la pompe à chaleur à 17.9% (±0.5%) ;
- le bois à 10.1% (±0.5%) ;
- l’électricité à 6.9% (±0.4%).
Le chauffage à lui seul représente 22% des besoins énergétiques du pays (source). C’est aussi des belles économies à la fin de l’année, par ménage ou pour le pays. C’est aussi une façon pour un pays d’augmenter son autonomie énergétique, ce qui ne peut être que positif sur bien des aspects (contrôle des prix, contrôle environnemental…). C’est donc un domaine d’une grande importance.
Émissions de gaz à effet de serre et pollution atmosphérique. Sur le seul aspect du chauffage, l’impact sur les émissions de gaz à effet de serre et de polluants atmosphériques pour les ménages donne des vertiges. Dans les comptes des émissions dans l’air des ménages et de l’économie, par secteurs économiques, nous apprenons que le chauffage est responsable de 51% des émissions, soit 10,8 millions de tonnes équivalent CO₂ (en 2016, source).
Et aujourd’hui, nous savons faire des maisons sans chauffage. Nous vous laissons un instant pour méditer là-dessus.
Que ce soit clair, l’objectif n’est pas de dénigrer ceux qui utilisent le chauffage. Bien souvent, la personne occupant le ménage n’est pas responsable du fonctionnement de sa maison, ou n’en est tout simplement pas consciente. C’est compliqué, ça demande beaucoup de temps et de connaissances. Il faut en revanche accepter de porter un pull en hiver pour supporter 1°C de moins en intérieur, permettrant alors de réduire de 8% la consommation d’énergie. Ce serait carrément malsain de penser que l’utilisateur d’un logement serait responsable de sa pollution, mais les habitudes de chauffage doivent être plus respecteuses de l’environnement.
Sans chercher spécifiquement à qui est la faute, il est raisonnable de se questionner : si nous savons faire des maisons sans chauffage, ou alors avec un besoin très faible en chauffage, pourquoi n’est-ce pas plus présent ? Peut-être que la réponse se trouve dans le choix des matériaux de construction. C’est en tout cas une question ouverte, et nous y reviendrons dans un autre article.
Exemple avec l’eau
Environ 80% de l’eau potable vient des eaux souterraines (source). La consommation d’eau potable s’éleve à 931 millions m³ par année (en 2017). Ça, c’est pour l’origine de l’eau. Mais il faut la traiter aussi. Dans les comptes de dépenses de protection de l’environnement (source), nous apprenons que 3067 millions CHF (2757 millions EUR) ont été dépensés pour la gestion des eaux usées (en 2017, mais le chiffre reste stable dans le temps). Une partie de ce budget est probablement alloué au maintient des stations, du réseau etc., et pas seulement à la potabilisation de l’eau, mais tout de même, cela reste un chiffre très impressionnant. (Nous ne prenons pas en compte le budget de 1283 millions CHF pour la protection et assainissement du sol, des eaux souterraines et des eaux de surface).
Donc l’eau, ça coûte très cher à un pays. Cerise sur le gâteau, transporter l’eau sur des grandes distances a un impact important. En France en 2014, 17% de l’eau était perdue pendant son transport à cause de fuites dans le réseau (source). Cela représente plus d’un milliard de m³. La France n’a pas la même taille que la Suisse, mais les chiffres sont amusants : en France, le volume d’eau perdu annuellement dans des fuites est supérieur au volume d’eau consommé par la Suisse toute entière. Et l’état du réseau d’eau en France est similaire à bien d’autres pays. C’est une eau qui a été traitée, potabilisée et perdue.
Avec ce projet de maison autarcique où nous couvrons 100% de nos besoins en eau grâce à la pluie, nous apprenons que :
- en utilisant deux fois moins d’eau dans le ménage (en réalité nous économisons bien plus d’eau que ça, mais prenons très large), nous réduisons alors par deux le volume des eaux usées à traiter. Ça ne va pas diviser le budget de gestion des eaux usées par deux, mais même si ça ne représente que 20% des dépenses, ça fait une économie de 613 millions CHF par année ;
- nous réduisons grandement les fuites dans le réseau car il n’y a aucun transport, l’eau est collectée localement (sur le toit). En France en 2014, ça représentait environ 500 millions de m³.
En utilisant l’eau de pluie et en optimisant la consommation d’eau dans les ménages avec des appareils simples (douches et toilettes économes en eau, voir Comment être 100% autonome en eau), c’est plusieurs centaines de millions de CHF d’économies envisageables dans le traitement des eaux usées et des millions de m³ d’eau non-perdus dans le transport des eaux, par année. Une petite question avant de conclure : pourquoi ces appareils économes en eau ne sont pas subventionnés ou mis en avant ? Ne serait-ce pas un bon investissement ?
Pour conclure
L’article devient long pour Internet. Il est temps de conclure.
Nous ne voulons pas vivre en autarcie pour être en solitaire, coupé du monde. Nous aimons l’idée d’être plus conscient de nos ressources, et de vivre avec ce que nous sommes capables d’avoir ou de produire localement. Nous aimons vivre « au rythme » du climat, de la météo et des saisons. Mais ce projet est bien plus que ça : tous ceux qui y participent de près ou de loin partagent l’idée qu’il faut optimiser les ressources/les énergies dans le bâtiment, et que ça peut avoir des impacts majeurs à toutes les échelles (quartier, ville, canton, pays, région du monde).
La contrainte de l’autarcie nous oblige à optimiser chaque partie du ménage. Une fois les parties optimisées, il est plus facile de réappliquer ces principes dans d’autres constructions, et ainsi, d’avoir un impact important sur l’environnement, l’économie et la société.
Merci à Pierreyves Padey pour sa relecture attentive et ses précieuses remarques !
5 réflexions sur “Pourquoi l’autarcie ?”